Cinéastes Émergents

Le blog Cinéastes Émergents est un espace libre de réflexions du groupe court métrage de la SRF (Société des réalisatrices et réalisateurs de films), qui n’engage que celui-ci. 


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  • Le silence

    Soudain, le silence est brisé.

    “Si on est homosexuel.le, on n’est pas désirable. On n’est pas pénétrable. Et quand on n’est pas pénétrable dans cette société, et dans le cinéma, on ne vaut rien.”

    Ces mots, prononcés le samedi 16 septembre par Muriel Robin sur le plateau de l’émission Quelle  époque !, dénoncent l’homophobie rampante dans le cinéma français. Certains les ont décrit comme une « claque ». Comme si par un pouvoir incantatoire, ils avaient brutalement ravivé un spectre du passé.

    L’homophobie se nourrit de silence. Silence contraint des acteur.ice.s qui ne peuvent pas sortir du placard de peur qu’on ne leur propose plus de premiers rôles. Silence d’auto-censure des réalisateur.ice.s qui refusent de raconter des récits LGBTQ+ de peur d’être rangés dans une “case” et de rajouter des obstacles supplémentaires à la fabrication de leurs films. Silence des organisations professionnelles et du gouvernement qui font l’autruche et refusent de reconnaître le problème, alors même que les agressions homophobes ont connu une hausse de 28% en 20221.

    Malgré des avancées récentes en matière de représentation, notamment aux États-Unis où, selon un rapport du GLAAD2 (Gay & Lesbian Alliance Against Defamation), 20% des films produits en 2020 par les 8 plus gros studios (40% pour ceux de Walt Disney !) contenaient au moins un personnage ouvertement LGBTQ+, en France, on traîne les pieds. Selon l’étude Cinégalités3 du collectif 50/50 publiée en 2021, seuls 5% des personnages dont l’orientation sexuelle est connue sont identifié.e.s comme gays/lesbiennes (2%) ou bisexuels (3%) — iels sont pourtant le double à l’échelle nationale4 (voire le quadruple en considérant la génération des moins de 26 ans, catégorie privilégiée pour les distributeurs). L’analyse fine de ces chiffres révèle, en outre, la persistance de stéréotypes sexuels et l’exclusion de représentations non-hégémoniques.

    À la différence d’autres catégories historiquement discriminées, l’homosexualité — disent les tenants de l’hétéronormativité — peut se cacher. C’est bien ce qu’on demande aux homosexuel.le.s. Se taire. Ne pas dire qu’iels en sont. Car comment justifier alors qu’aucun dispositif de soutien du cinéma ne cible directement les récits LGBTQ+ pour pallier une telle exclusion ? Comment expliquer, par exemple, que ces récits soient écartés du “Fonds Images de la diversité” du CNC, dont le but affiché est de soutenir la création et la diffusion des œuvres “contribuant à donner une représentation plus fidèle de la réalité française et de ses composantes” ?

    L’homophobie se nourrit de silence, mais elle ne dit pas son nom pour autant. Elle s’exprime à travers des mots-codes, dont diffuseurs et financiers ont le secret. Combien de fois va-t-on justifier le rejet d’un récit queer au motif qu’il est trop “niche” ? Combien de fois encore va-t-on refuser un choix de casting sous le prétexte que le “public” — cette chimère dont ils prétendent connaître tous les penchants — ne peut pas “s’identifier” à tel.le acteur.ice homosexuel.le ou transgenre ? Ces discours à l’homophobie à peine voilée relèguent l’imaginaire, les thématiques et les sensibilités LGBTQ+ à la condition de phénomènes étranges, malsains ou menaçants. Les seuls récits acceptables sont ceux qui mettent en scène une forme respectable d’homosexualité taiseuse ou ceux marqués par la souffrance physique ou morale, qui dit bien la condition intolérable d’être homosexuel.le ou transgenre.

    À une époque où des agressions homophobes se multiplient, où le leader de l’audimat français out-e un homosexuel en direct sur son plateau, où des discours transphobes sont tenus presque quotidiennement par des magazines à grande circulation, où des politicien.ne.s ressassent l’image d’une homosexualité menaçant les enfants ou la famille, le choix s’impose à nouveau entre le courage de dire, le soutien effectif aux récits, aux professionnel.le.s et aux cinéastes LGBTQ+, ou ce silence qui fauche les corps, les sensibilités et les imaginaires.

    1. Selon le rapport annuel de l’organisation SOS Homophobie : https://ressource.sos-homophobie.org/Rapports_annuels/Rapport_LGBTIphobies_2023.pdf ↩︎
    2. https://glaad.org/sri/2021/overview/ ↩︎
    3. https://collectif5050.com/wordpress/wp-content/uploads/2022/05/Cinegalite-s-Rapport.pdf  ↩︎
    4. https://www.ipsos.com/fr-fr/lgbt-pride-2023-10-des-francais-sidentifient-comme-lgbt ↩︎
  • Nous, Jeunes Cinéastes, nous ne sommes pas des enfants gâtés.

    “Ce prix, je le dédie à toutes les jeunes réalisatrices, à tous les jeunes réalisateurs, et même à ceux qui aujourd’hui n’arrivent pas à tourner. On se doit de leur faire de la place, cette place que j’ai prise il y a quinze ans, dans un monde un peu moins hostile et qui considérait encore possible de se tromper, et de recommencer.”

    Ces mots sont ceux prononcés par Justine Triet le 27 mai 2023 à Cannes, alors qu’elle reçoit la Palme d’Or pour son film “Anatomie d’une chute”. Sur cette grande scène du Théâtre Lumière, où les paillettes brillent et où tant de phrases souvent convenues sont prononcées, une parole se libère et nous touche en plein cœur.  

    Nous, jeunes cinéastes qui n’arrivons pas forcément à faire nos films, avons soudain la sensation que l’on s’adresse à nous. Enfin. On nous rend visibles. 

    Mais au fait, ça veut dire quoi jeunes cinéastes ? Les jeunes cinéastes sont en effet plus ou moins jeunes, car l’émergence n’est pas forcément synonyme de jeunesse. Il ne faut jamais perdre de vue la diversité des parcours et des profils, qui fonde également la diversité des œuvres. Nous n’avons pas tous.tes fait une école et avons parfois eu un parcours différent. Nous avons pour la plupart exercé d’autres métiers avant, et avons souvent une activité alimentaire et plus ou moins chronophage en parallèle, dans le seul but de pouvoir continuer à écrire et réaliser nos films. 

    Vous nous direz certainement que c’est un privilège de faire ce métier et vous avez raison. Un privilège de s’autoriser à s’exprimer, de pouvoir consacrer du temps à l’écriture et au développement de projets – mais c’est surtout, pour la grande majorité d’entre nous, un véritable parcours du combattant.

    La réalité, c’est que nous sommes nombreux.ses et qu’il y a peu d’élu.es. Peu de projets aidés en rapport avec la masse sans cesse grandissante de projets soumis aux commissions et autres comités de sélection. Une situation qui interroge désormais sur les modalités d’évaluation et la nécessaire régénération des conditions d’organisation des aides. Faire un film, même un court métrage, c’est long. Ça prend du temps. Trop. Nous nous noyons dans les dossiers et nous ne sommes jamais sûr.es du résultat. Quoiqu’il arrive, nous devons rester accroché.es à notre désir. Ne pas lâcher. Résister. Oui, aujourd’hui, faire des films et trouver sa place est de plus en plus difficile. 

    Nous ne contestons pas le principe des aides sélectives. Elles sont notre quotidien. Nous demandons, en revanche, plus de bienveillance et de curiosité à l’égard de ce qui est fragile, pas formaté, pas mainstream. Il faut faire une place et offrir un espace plus large aux outsiders, à celles et ceux qui n’ont pas coché toutes les cases, à la diversité des parcours, des approches et des esthétiques. S’autoriser et s’ouvrir à d’autres imaginaires. Encourager l’audace, la singularité, l’impertinence que seule la création artistique peut rendre possible. Cela doit être une volonté politique inébranlable, car c’est le fondement même des politiques publiques en faveur de l’art cinématographique. 

    Aujourd’hui, nous sommes préoccupé.es par l’uniformisation des formats et des récits, par un glissement vers une demande de rentabilité et de résultat alors qu’un film n’est pas un produit. Un film, c’est tout autre chose. Moyen d’expression puissant, le cinéma est capable de faire bouger les lignes, de proposer d’autres regards, de rassembler. C’est une force absolue, une nécessité aussi intime qu’universelle.

    Nous désirons et appelons de nos vœux “ce monde moins hostile où il serait possible de se tromper et de recommencer”, absolument nécessaire pour qu’il soit possible de créer véritablement. Cela passera par l’empathie et la curiosité des décideurs : il ne s’agit pas d’autoriser ou non les jeunes cinéastes à faire des films, mais bien de les y aider – toutes esthétiques, formats et parcours confondus. 

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